Depuis plusieurs décennies, le FPS s’est imposé comme l’un des genres les plus emblématiques du jeu vidéo. Des titres légendaires comme Doom, Half-Life ou F.E.A.R. ont défini des générations de joueurs en associant adrénaline, précision et immersion. Mais à mesure que les blockbusters multiplient les effets spéciaux et les mécaniques calibrées, un autre courant s’est développé : celui des FPS indépendants, souvent plus modestes techniquement, mais capables de proposer une approche plus intime, plus viscérale.
C’est dans ce sillon qu’arrive Beneath, un jeu indépendant qui choisit de plonger le joueur dans les abysses d’un océan hostile, en mêlant l’action brute du shooter à une tension psychologique inspirée du mythe de Cthulhu. Car au-delà des monstres et des armes, c’est la folie qui devient ici l’ennemi principal celle qui naît de la peur de l’inconnu et du silence des profondeurs.
Les studios indépendants n’ont pas la puissance d’un AAA, mais ils ont souvent cette liberté créative qui leur permet de tenter des choses différentes, d’explorer des atmosphères que les grands studios n’osent plus aborder. Camel 101, le petit studio derrière Beneath, s’inscrit clairement dans cette philosophie : créer une expérience sensorielle et oppressante, où chaque bruit, chaque ombre, chaque souffle de plongée peut faire basculer le joueur dans la panique.
Beneath ne promet pas un grand spectacle hollywoodien. Il propose quelque chose de plus rare : une descente dans la peur, brute, sincère, sans artifice. Et c’est précisément ce qui le rend si intriguant.
Développement : Camel 101 et la vision indépendante
Derrière Beneath se cache un petit studio portugais : Camel 101.
Fondé par deux frères passionnés, Ricardo et Bruno Casteleiro, le studio s’est fait remarquer au fil des années pour son approche narrative de l’horreur psychologique. Avant Beneath, ils avaient déjà exploré les recoins les plus sombres de la peur avec Syndrome (2016), un survival-horror se déroulant dans une station spatiale, et Those Who Remain (2020), un thriller à la première personne plongeant le joueur dans une petite ville dévorée par les ténèbres.
Ces titres, bien que loin des standards techniques des grandes productions, ont toujours misé sur l’ambiance avant la performance, sur le malaise plus que le sursaut. Une ligne directrice que l’on retrouve pleinement dans Beneath, où chaque environnement semble raconter une histoire rouille, fuites, cliquetis métalliques… tout respire la fin du monde sous-marine.
Le studio a choisi de s’appuyer sur Unreal Engine, un moteur de jeu aujourd’hui incontournable, capable d’offrir un rendu visuel solide même avec une petite équipe. Ce choix technique leur a permis de donner vie à des environnements crédibles et oppressants, tout en conservant une certaine souplesse de développement.
Cependant, comme souvent avec les projets indépendants, on ressent par moments les limites de leurs moyens : certaines animations sont rigides, les collisions un peu hasardeuses, et la fluidité peut vaciller dans les zones plus chargées.
Mais c’est aussi là que réside tout le charme de Camel 101 : une volonté farouche de faire beaucoup avec peu, de créer des mondes à la fois restreints et riches en détails, où chaque texture, chaque bruit et chaque note trouvée racontent une partie du récit.
Avec Beneath, le studio signe sans doute son projet le plus ambitieux à ce jour un jeu qui ne cherche pas à rivaliser avec les géants du genre, mais à proposer une expérience authentique, sincère et viscérale.

Gameplay : un FPS classique aux aspérités bien visibles
En surface, Beneath se présente comme un FPS traditionnel : une arme en main, un viseur centré, et des ennemis qui surgissent au détour d’un couloir trempé de rouille et d’ombres mouvantes. Mais très vite, on comprend que le jeu n’a pas les prétentions d’un Call of Duty ou d’un Doom Eternal il joue dans une autre catégorie, celle des FPS indépendants qui misent sur l’atmosphère avant la fluidité.
La base du gameplay est simple : avancer, explorer, tirer, survivre.
Le joueur incarne un plongeur spécialisé dans l’exploration sous-marine, confronté à des créatures difformes et à des soldats mutés. Les affrontements sont nerveux, parfois chaotiques, mais le système de tir manque de souplesse.
Les déplacements sont rigides, la visée un peu lourde, et l’absence de mécanique de saut rend certains passages étrangement limités. On sent la contrainte d’un moteur mal maîtrisé ou d’une animation restée figée à mi-parcours du développement.
Quelques bugs récurrents viennent également alourdir l’expérience : collisions capricieuses, IA imprévisible, ou encore ennemis bloqués dans le décor. Rien de rédhibitoire, mais suffisamment présent pour provoquer des morts injustes, frustrantes, d’autant plus que le rythme du jeu repose justement sur la tension constante.
Ce sont des défauts typiques des productions indépendantes ambitieuses celles qui tentent de reproduire les codes du AAA sans les moyens d’en assurer la même finition.
Pour autant, Beneath n’est pas dénué d’intérêt manette en main. Il y a un certain plaisir à avancer lentement dans ces couloirs poisseux, à économiser ses munitions et à scruter le moindre bruit suspect. Le jeu parvient, malgré sa rigidité, à maintenir une tension palpable, cette impression que la mort peut surgir à tout moment d’un conduit d’aération ou d’une porte mal éclairée.
C’est dans cette lenteur, parfois frustrante mais volontaire, que Beneath trouve sa singularité : il ne cherche pas à être spectaculaire, il veut être oppressant.

Un lore lovecraftien immersif
S’il y a bien un domaine où Beneath impressionne, c’est dans sa construction de l’univers.
Dès les premières minutes, on sent que quelque chose ne tourne pas rond dans ces stations sous-marines abandonnées. Les couloirs sont déformés, les lumières vacillent sans raison, et les rares survivants que l’on croise semblent avoir perdu bien plus que la raison.
Le jeu parvient à recréer cette atmosphère lovecraftienne si particulière, où la peur ne vient pas seulement des monstres, mais de ce qu’on ne comprend pas.
L’influence du mythe de Cthulhu est omniprésente, mais jamais forcée.
Le joueur ne croise pas de tentacules géants ou d’abominations cosmiques à chaque recoin au contraire, Beneath préfère suggérer l’horreur plutôt que de la montrer.
À travers les notes éparpillées, les journaux audio et les messages laissés par l’équipage, on reconstitue lentement le puzzle d’une expérience scientifique qui a mal tourné, d’une plongée trop profonde, au-delà de ce que la conscience humaine peut supporter.
Chaque texte, chaque trace de sang, chaque voix lointaine renforce la descente progressive vers la folie.
La direction artistique joue un rôle central dans cette immersion.
Les décors, bien que modestes techniquement, dégagent une identité visuelle marquée : le métal rongé par le sel, les lumières d’urgence rouges et verdâtres, la brume épaisse qui engloutit la visibilité. On a constamment l’impression d’évoluer dans un monde à l’agonie, entre deux réalités.
Les zones plus oniriques, presque surnaturelles, viennent d’ailleurs bousculer cette ambiance réaliste et rappellent par moments SOMA ou Amnesia, où la perception du joueur devient un élément narratif à part entière.
Le sound design est lui aussi d’une efficacité redoutable.
Les bruits de respiration dans le scaphandre, les craquements métalliques, les sons étouffés par l’eau… tout contribue à cette sensation d’isolement absolu.
Le silence, parfois total, devient un outil de tension. Puis, sans prévenir, un jumpscare surgit au détour d’un couloir, jamais gratuit, toujours bien placé — assez pour rappeler que, dans Beneath, on n’est jamais vraiment seul.
Le bestiaire, bien que limité, participe à cette atmosphère étrange.
Les créatures, mi-humaines mi-aquatiques, semblent tout droit sorties d’un cauchemar biologique. On sent dans leur design une volonté de ne pas verser dans le grotesque, mais dans le dérangeant ces visages figés, ces corps distordus, comme si l’océan lui-même les avait remodelés.
Il n’y a pas besoin d’en montrer beaucoup pour que le malaise s’installe.
Au final, c’est ce mélange de mystère, de peur et de fascination qui rend Beneath si captivant. Le jeu ne raconte pas seulement une histoire : il fait vivre une expérience mentale, une plongée dans la paranoïa et la solitude, comme si chaque mètre parcouru nous rapprochait un peu plus de la vérité… ou de la démence.

Une expérience courte mais intense
Beneath n’est pas un jeu qui cherche à retenir le joueur des dizaines d’heures.
Comptez environ six heures pour atteindre la fin du scénario, un peu plus si vous prenez le temps d’explorer chaque couloir et de lire toutes les notes disséminées dans les stations.
C’est une durée modeste, certes, mais cohérente avec la nature du projet : un récit compact, sans remplissage inutile, où chaque environnement et chaque rencontre servent l’ambiance et la narration.
Le rythme du jeu reste globalement bien dosé.
Après un début un peu lent, le scénario s’installe et l’exploration devient plus captivante, entre tension constante et découvertes macabres.
La structure linéaire du jeu permet de maintenir une intensité constante, sans que le joueur ne se perde dans des détours artificiels.
On sent que Camel 101 a préféré raconter une histoire jusqu’au bout, plutôt que de diluer son propos dans un contenu plus long mais moins maîtrisé.
Concernant la rejouabilité, elle reste limitée.
Une fois l’intrigue terminée, il n’y a pas vraiment de secrets à redécouvrir ou de fins alternatives à débloquer.
Le jeu propose bien plusieurs niveaux de difficulté, ce qui peut inciter certains à retenter l’aventure pour un défi supplémentaire, mais cela ne change pas fondamentalement l’expérience.
On y revient surtout pour revivre l’ambiance, pas pour le gameplay en lui-même.
Dans un sens, cette brièveté joue en faveur du jeu.
Elle renforce l’idée d’une plongée unique, presque initiatique, dont on ressort essoufflé, le souffle court, comme après un cauchemar qu’on n’est pas tout à fait sûr d’avoir rêvé.
Mieux vaut une expérience courte mais marquante, qu’un voyage interminable qui perd en intensité.
Et sur ce point, Beneath atteint parfaitement son objectif.

Mon avis de joueur
J’ai beaucoup aimé Beneath.
Ce n’est pas un jeu parfait, loin de là, mais il dégage une âme, une atmosphère qu’on ne retrouve plus beaucoup dans le paysage vidéoludique actuel.
Dès les premières minutes, j’ai ressenti ce mélange d’oppression et de curiosité qui m’accroche toujours dans les bons jeux d’ambiance : le besoin d’avancer, même quand tout hurle de faire demi-tour.
Le bestiaire, bien que restreint, est particulièrement marquant.
Les créatures sont dérangeantes, presque humaines dans leur difformité, et leur rareté les rend d’autant plus efficaces. Chaque rencontre provoque une tension réelle : on se prépare, on se crispe, et on tire souvent dans la panique.
Certains jumpscares sont d’ailleurs très réussis pas ceux qui cherchent à surprendre gratuitement, mais ceux qui s’appuient sur une ambiance déjà lourde, sur un silence soudain brisé au détour d’un couloir.
Ces instants m’ont rappelé mes meilleures expériences dans des titres comme SOMA ou Amnesia, où la peur naît plus de l’attente que du choc.
Ce que j’ai surtout apprécié, c’est l’histoire.
Elle se dévoile lentement, à travers des notes, des rapports, des dialogues étouffés. On devine des choses avant de les comprendre, et cette construction progressive rend la progression captivante.
L’écriture n’est pas révolutionnaire, mais elle respecte l’esprit de Lovecraft : suggérer plutôt que montrer, éveiller la folie plutôt que l’expliquer.
Bien sûr, le jeu souffre de lacunes techniques évidentes : les déplacements rigides, l’absence de saut, les collisions approximatives… autant de détails qui cassent parfois le rythme.
Mais à aucun moment cela n’a gâché mon plaisir.
J’ai pris ce que Beneath avait à offrir une plongée oppressante, un univers fascinant, et quelques moments de tension pure qui m’ont vraiment surpris.
C’est un jeu qui se vit plus qu’il ne se “consomme”.
Et même s’il ne rivalise pas avec les géants du genre, il m’a offert une expérience sincère, imparfaite mais marquante celle d’un studio qui ose explorer les ténèbres, sans peur du vide.

Les profondeurs de la création indépendante
Beneath n’est pas un FPS de plus, ni un simple hommage à Lovecraft.
C’est avant tout le reflet d’une ambition indépendante : celle d’un petit studio qui tente de faire vivre une idée, une atmosphère, une vision du jeu vidéo qui dépasse ses moyens techniques.
Camel 101 livre ici un projet imparfait, parfois frustrant, mais profondément sincère. Et dans un monde saturé de blockbusters sans âme, cette sincérité-là vaut beaucoup.
Oui, le gameplay reste rigide, la technique datée, les bugs présents.
Mais malgré tout, Beneath réussit ce que peu de productions parviennent encore à faire : immerger.
On y croit. On y ressent la peur, la solitude, la curiosité.
L’univers lovecraftien y est traité avec respect, l’ambiance sonore est redoutablement efficace, et chaque station raconte sa propre descente vers la folie.
C’est une œuvre d’atmosphère, une plongée dans la peur psychologique, plus que dans l’action.
Les studios indépendants comme Camel 101 affrontent un défi colossal : créer un FPS, un genre exigeant techniquement et mécaniquement, avec des moyens limités.
Et même si tout n’est pas parfaitement abouti, Beneath prouve qu’il est possible, avec de la passion et de la maîtrise narrative, de proposer une expérience marquante sans budget pharaonique.
C’est le genre de jeu qui laisse une empreinte discrète, mais durable celle d’un voyage qu’on n’oublie pas, même une fois remonté à la surface.
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