
Plongée dans l’ombre des Rootkits
Parmi les menaces les plus insidieuses du monde numérique, les rootkits occupent une place à part. Là où les virus classiques cherchent à se propager et les ransomwares à se faire remarquer, les rootkits, eux, optent pour la discrétion absolue. Leur objectif n’est pas forcément de détruire, mais de rester cachés, souvent pour longtemps. Leur but ? Offrir un accès furtif, persistant, et parfois total à une machine infectée.
Historiquement, le terme rootkit vient de la contraction de « root » (utilisateur administrateur sur les systèmes Unix/Linux) et « kit » (ensemble d’outils). Initialement, il s’agissait d’un ensemble de scripts destinés à masquer les traces d’un accès root non autorisé. Mais avec le temps, les rootkits ont évolué, devenant de véritables armes d’espionnage ou de sabotage numérique.
Aujourd’hui, ils peuvent s’attaquer à toutes les couches d’un système : du noyau de l’OS aux firmwares, en passant par les bibliothèques systèmes ou même le BIOS/UEFI. Leur capacité à se dissimuler aux yeux des antivirus, des utilisateurs et parfois même des administrateurs système en fait l’un des outils les plus redoutables de l’arsenal cybercriminel.
Le but de cet article est de démystifier ces fantômes numériques : comprendre ce qu’ils sont, comment ils fonctionnent, et surtout, comment s’en prémunir.

Qu’est-ce qu’un Rootkit ? Typologie et objectifs
Un rootkit est un programme ou un ensemble de programmes conçus pour accorder à un attaquant un accès privilégié à un système informatique, tout en masquant sa présence. Contrairement aux malwares « visibles » (comme les ransomwares qui bloquent les fichiers ou les virus qui déclenchent des alertes), le rootkit joue la carte de la furtivité absolue. Son but est de rester indétectable le plus longtemps possible afin de permettre des activités malveillantes sur la durée.
🎯 Objectifs principaux d’un rootkit
- Maintenir un accès privilégié : Le rootkit permet à l’attaquant de revenir sur la machine même après un redémarrage.
- Camoufler d’autres logiciels malveillants : Il est souvent utilisé pour masquer la présence d’un keylogger, d’un trojan ou d’un botnet.
- Modifier ou intercepter les opérations système : Cela inclut la modification des appels système pour cacher des fichiers, des processus, voire des connexions réseau.
- Exfiltrer des données ou surveiller l’activité utilisateur sans être repéré.
🧩 Typologie des rootkits
Les rootkits sont classés selon leur niveau d’intégration dans le système :
- User-mode rootkits
Ils s’exécutent dans l’espace utilisateur (niveau applicatif). Ils interceptent des appels système via des bibliothèques partagées (commedll
sur Windows). Moins puissants que ceux en mode noyau, ils sont aussi plus facilement détectables. - Kernel-mode rootkits
Fonctionnant au niveau du noyau de l’OS, ils ont accès à toutes les fonctions critiques du système. Ils sont plus complexes à créer, mais extrêmement difficiles à détecter et à éradiquer. - Bootkits
Ils infectent le secteur de démarrage (MBR ou UEFI) pour prendre le contrôle avant même que le système d’exploitation ne soit lancé. Cela leur permet de se charger en toute discrétion et de réinfecter un système à chaque démarrage. - Firmware rootkits
Les plus avancés, ils infectent les firmwares de périphériques (carte réseau, disque dur, carte mère…). Même un formatage complet ne suffit pas à les supprimer. - Hypervisor rootkits (ou Virtual Machine-Based Rootkits)
Ils se placent sous l’OS, en contrôlant l’exécution du système via un hyperviseur malveillant. Ultra discrets et très complexes, ils restent pour l’instant majoritairement théoriques ou expérimentaux.

Comment fonctionnent les Rootkits ?
Le principal pouvoir d’un rootkit ne réside pas uniquement dans sa capacité à exécuter du code malveillant, mais dans sa faculté à rester invisible. Pour cela, il utilise diverses techniques sophistiquées visant à tromper le système d’exploitation, les antivirus et même les utilisateurs expérimentés.
🧬 Techniques de dissimulation
- Interception des appels système
Les rootkits modifient les fonctions du système d’exploitation (comme celles du noyau ou des bibliothèques partagées) pour cacher des fichiers, des processus ou des connexions réseau. Par exemple, une commande commeps
sous Linux outasklist
sous Windows pourrait ne pas afficher un processus malveillant si le rootkit l’a masqué. - Modification du registre ou des fichiers systèmes
Certains rootkits changent les paramètres de configuration du système pour empêcher leur détection au démarrage ou pour réactiver des composants désactivés. - Injection de code
Ils peuvent injecter leur code dans des processus légitimes (commeexplorer.exe
ousvchost.exe
), les rendant ainsi quasiment indétectables pour l’utilisateur et les antivirus classiques. - Chargement en mode noyau (kernel mode)
Les rootkits les plus avancés s’exécutent au même niveau que le noyau de l’OS, leur permettant de manipuler directement les appels système sans passer par les protections habituelles. - Persistance au redémarrage
Grâce à des modifications dans le bootloader, le BIOS/UEFI ou les scripts de démarrage, les rootkits peuvent se réactiver automatiquement à chaque redémarrage du système.
🔄 Mécanismes d’action
Une fois installés, les rootkits ouvrent la voie à un large éventail d’actions malveillantes, sans éveiller les soupçons :
- Création d’un accès distant furtif (backdoor).
- Capture de frappes clavier (keylogging).
- Surveillance du trafic réseau ou des sessions utilisateur.
- Téléchargement et exécution d’autres malwares.
- Utilisation de la machine dans un botnet (sans qu’elle apparaisse comme infectée).
Ce fonctionnement dans l’ombre fait des rootkits des menaces redoutables, capables de compromettre durablement la sécurité d’un système sans alerter les défenses traditionnelles.

Rootkits célèbres : quand la menace devient réelle
Si les rootkits peuvent sembler abstraits ou purement théoriques, plusieurs d’entre eux ont marqué l’histoire de la cybersécurité par leur ampleur, leur sophistication ou l’impact qu’ils ont eu sur le grand public. Ces exemples concrets permettent de mieux comprendre la dangerosité de ces outils furtifs, capables de prendre le contrôle d’un système sans laisser de trace visible.
Voici cinq rootkits particulièrement notoires, chacun ayant à sa manière changé la perception de la sécurité informatique :
☠️ 1. Sony BMG Rootkit (2005)
Plateforme : Windows
Origine : Sony BMG
Fait marquant : installé volontairement par une entreprise
Afin de protéger ses CD audio contre la copie, Sony avait intégré un rootkit qui s’installait automatiquement sur les PC des utilisateurs. Il masquait ses propres fichiers et créait une porte ouverte pour d’autres malwares. L’affaire a provoqué un scandale mondial, des poursuites judiciaires, et une perte de confiance durable dans les protections anti-copie invasives.
🛡️ 2. TDSS / TDL-4 (2008–2011)
Plateforme : Windows
Origine : cybercriminels russes
Fait marquant : un rootkit très avancé et modulaire
TDL-4 interceptait les appels système, injectait des composants malveillants, désactivait les antivirus et se mettait à jour à distance. Il a même embarqué un mini-système de fichiers chiffré sur le disque dur de la victime. À son apogée, il contrôlait plus de 4 millions de machines.
🔥 3. Stuxnet (2010)
Plateforme : Windows / systèmes SCADA
Origine : États-Unis / Israël (attribution non officielle)
Fait marquant : sabotage industriel ultra-ciblé
Ce ver informatique ciblait spécifiquement les installations nucléaires iraniennes. Son rootkit masquait les changements qu’il opérait sur les automates industriels tout en montrant des lectures normales aux opérateurs. Un cas d’école de cyberattaque étatique et un tournant historique dans la guerre numérique.
👁️ 4. Necurs Rootkit (2012)
Plateforme : Windows
Origine : cybercriminels
Fait marquant : porte d’entrée pour de multiples malwares
Necurs s’est rendu tristement célèbre pour avoir masqué et diffusé des familles de malwares comme Dridex (vol de données bancaires) ou Locky (ransomware). Sa capacité à empêcher sa désinstallation, bloquer les antivirus et maintenir un accès persistant a fait de lui une menace durable.
👾 5. ZeroAccess (2011–2013)
Plateforme : Windows
Origine : inconnue
Fait marquant : minage de cryptomonnaies et fraude publicitaire à grande échelle
ZeroAccess infectait les MBR, injectait du code dans les processus critiques et créait un réseau peer-to-peer pour rester actif malgré les tentatives de nettoyage. Il a généré des millions de dollars via des clics publicitaires frauduleux et du minage de bitcoin, tout en restant invisible pour de nombreux outils de sécurité.

Rootkit toujours actif : FiveSys, le cauchemar moderne
Même si de nombreux rootkits historiques ont été démantelés, certains continuent de sévir avec une discrétion redoutable. FiveSys en est l’un des exemples les plus récents et inquiétants.
Découvert en 2021, FiveSys est un rootkit Windows de type kernel-mode, capable de modifier profondément le fonctionnement du système d’exploitation. Ce qui le rend particulièrement dangereux, c’est qu’il a été initialement signé avec un certificat numérique valide de Microsoft, lui permettant de passer les barrières de sécurité comme s’il s’agissait d’un pilote légitime.
Caractéristiques clés :
- 📌 Signé numériquement : lui a permis d’être exécuté sans alerte sous Windows.
- 🕳️ Modification du trafic réseau : il détourne les connexions Internet vers des serveurs malveillants.
- 👁️ Invisibilité renforcée : il opère au niveau noyau, rendant sa détection très difficile.
- 🧬 Évolutif : il est mis à jour régulièrement, et utilisé dans des campagnes ciblées.
Bien qu’il semble viser principalement des utilisateurs chinois pour l’instant, sa conception et son mode opératoire pourraient inspirer d’autres attaques plus larges. Sa découverte a également mis en lumière les failles potentielles du système de validation des pilotes Windows.
🧠 À retenir : FiveSys démontre que les rootkits ne sont pas des reliques du passé. Ils évoluent, se perfectionnent et s’adaptent aux nouvelles architectures système.

Comment se prémunir des rootkits ?
La nature furtive des rootkits les rend particulièrement difficiles à détecter et à éliminer. Contrairement aux virus classiques, ils peuvent s’installer profondément dans le système, parfois dès le démarrage, avant même que l’antivirus ne soit actif. La prévention est donc la première ligne de défense.
Voici les bonnes pratiques pour s’en protéger efficacement :
🔐 1. Maintenir son système à jour
Les rootkits exploitent souvent des failles non corrigées. Installer régulièrement les mises à jour de sécurité de votre système d’exploitation, des pilotes et des logiciels est une mesure essentielle.
➡️ Astuce : activez les mises à jour automatiques sur Windows, Linux ou macOS.
🧰 2. Utiliser un antivirus / EDR réputé
Certains antivirus intègrent des protections spécifiques contre les rootkits, notamment au niveau noyau. Les solutions EDR (Endpoint Detection and Response) permettent d’analyser les comportements suspects, même s’ils ne sont pas immédiatement identifiables comme des malwares.
➡️ Privilégiez des éditeurs reconnus (Bitdefender, Kaspersky, ESET, Microsoft Defender, etc.).
🧼 3. Ne jamais installer de pilotes ou de logiciels douteux
Les rootkits sont souvent dissimulés dans des exécutables piratés, des pilotes non signés ou des cracks.
➡️ Règle d’or : installez uniquement des programmes depuis des sources officielles et vérifiez leur signature numérique.
🧪 4. Analyser régulièrement le système
Utilisez des outils spécialisés pour détecter d’éventuelles anomalies ou rootkits dormants :
- 🔎 GMER, Chkrootkit ou rkhunter sous Linux
- 🛡️ Malwarebytes Anti-Rootkit ou TDSSKiller pour Windows
➡️ Ces outils permettent une analyse approfondie, même en dehors du système actif.
🧯 5. En cas de doute : démarrer sur un système externe
Un rootkit peut interférer avec les processus de détection. Si vous suspectez une infection, démarrez depuis un Live CD ou une clé USB bootable (comme Hiren’s Boot CD ou une distro Linux), pour analyser le système depuis l’extérieur.
➡️ Cela permet de contourner les éventuelles manipulations du rootkit en mémoire.
💾 6. Sauvegarder régulièrement ses données
Même si les rootkits ne sont pas des ransomwares, ils peuvent ouvrir la voie à d’autres malwares plus destructeurs. Des sauvegardes fréquentes et déconnectées (offline ou dans le cloud sécurisé) vous permettront de repartir sur un système sain en cas de compromission grave.
✅ En résumé
Les rootkits sont parmi les menaces les plus sournoises du paysage numérique. Invisibles, persistants et parfois signés, ils exigent une vigilance constante et une hygiène numérique rigoureuse.
Se protéger, c’est surtout prévenir leur installation — car une fois implantés, il est souvent déjà trop tard.

Conclusion
Les rootkits représentent une menace invisible mais bien réelle, capable de compromettre profondément la sécurité d’un système sans éveiller le moindre soupçon. Loin d’être des vestiges d’une époque révolue, ils ont évolué avec le temps, gagnant en sophistication, en furtivité et en impact. De Sony BMG à FiveSys, ils incarnent une facette particulièrement insidieuse de la cybercriminalité moderne.
Ce type d’attaque nous rappelle une vérité essentielle : la sécurité informatique n’est jamais acquise. Il ne suffit plus de compter sur un simple antivirus ou d’éviter les sites douteux. Face à des malwares capables de s’implanter au cœur même de nos systèmes, l’anticipation, la vigilance et la connaissance sont nos meilleures armes.
En restant informé, en adoptant les bons réflexes, et en mettant en place des outils adaptés, chacun peut réduire drastiquement les risques d’infection. Et si jamais un doute persiste… parfois, le formatage est le seul remède.
📝 Disclaimer
Cet article est le fruit d’un regroupement de plusieurs sources publiques, que j’ai analysées et synthétisées pour en proposer une lecture accessible.
La partie technique reflète ma compréhension personnelle des mécanismes en jeu, et peut donc faire l’objet d’interprétations différentes selon les lecteurs.
Si vous relevez une erreur, une imprécision ou souhaitez échanger sur le sujet, n’hésitez pas à me contacter pour en discuter ou corriger l’article.
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