Sorti en 2014, Thief marque le retour d’une saga emblématique du jeu d’infiltration, initiée à la fin des années 90 par Looking Glass Studios. Ce reboot, souvent surnommé Thief 4 ou stylisé Thi4f, a suscité beaucoup d’attentes, tant chez les fans de la première heure que chez les nouveaux joueurs curieux de découvrir Garrett, le maître voleur. Développé par Eidos Montréal, déjà à l’œuvre sur Deus Ex: Human Revolution, le jeu promettait une immersion totale dans une cité sombre, corrompue, et pleine de secrets à dérober. Mais comme souvent avec les reboots de licences cultes, le résultat a divisé. Entre fidélité à l’esprit originel et concessions aux standards modernes du jeu vidéo, Thief avance masqué… et ne laisse personne indifférent.

Développement du jeu
Après plus de dix ans d’absence, la saga Thief renaît sous la houlette d’Eidos Montréal, déjà reconnu pour avoir brillamment modernisé une autre licence culte avec Deus Ex: Human Revolution. Annoncé dès 2009 sous le nom de Thief 4, le jeu connaîtra un développement long et mouvementé, marqué par des changements de direction artistique, de moteur graphique, et de gameplay. Il faudra attendre 2014 pour voir le jeu sortir enfin, sur PC, PlayStation 3, PlayStation 4, Xbox 360 et Xbox One.
L’objectif du studio était clair : redonner vie à Garrett et à l’univers sombre et gothique de Thief, tout en l’adaptant aux exigences d’un public moderne. Pour cela, ils ont opté pour un reboot complet, reprenant les grandes lignes de la série (infiltration, vol, atmosphère pesante), mais en modifiant l’histoire et le monde de jeu. Le moteur utilisé, une version modifiée de l’Unreal Engine 3, permet de proposer des environnements visuellement détaillés et une gestion de la lumière essentielle pour le gameplay furtif.
La direction artistique penche vers un style steampunk victorien, fortement inspiré de l’univers de Dishonored, ce qui a parfois été reproché au jeu, accusé de manquer d’identité propre. Malgré ces critiques, l’équipe a fait preuve d’une ambition notable en mettant l’accent sur l’immersion et la personnalisation de l’expérience de jeu. Malheureusement, le développement compliqué aura laissé quelques traces, notamment dans la cohérence du scénario ou l’IA des ennemis, souvent jugée erratique.

Gameplay et infiltration
Thief (2014) s’inscrit dans la pure tradition de l’infiltration à l’ancienne. Oubliez les fusillades spectaculaires ou les combats chorégraphiés : Garrett est un voleur, pas un guerrier. Le cœur du gameplay repose sur la discrétion, l’observation et la planification. Le joueur progresse en se fondant dans l’ombre, en éteignant les torches, en crochetant des serrures et en contournant les ennemis plutôt qu’en les affrontant.
Le level design semi-ouvert permet plusieurs approches pour atteindre ses objectifs : passer par les toits, s’introduire via une trappe oubliée, ou se faufiler dans les conduits d’aération. Chaque mission devient alors une sorte de puzzle à résoudre selon ses préférences. Garrett dispose pour cela de nombreux outils : son fidèle arc avec différents types de flèches (à eau, à feu, assourdissantes…), un crochet pour forcer les serrures, et un système de vision spéciale appelé « vision de concentration » qui permet de repérer les éléments interactifs dans l’environnement.
Si le gameplay offre une belle liberté, il n’est pas sans défauts. L’IA des ennemis est parfois incohérente, rendant certaines séquences trop faciles ou, à l’inverse, frustrantes. De même, certaines phases de jeu scriptées, incluant des QTE et des fuites obligatoires, tranchent brutalement avec la liberté d’action du reste du jeu et ont déplu aux puristes.
Un point notable réside dans la personnalisation de la difficulté : de nombreux paramètres peuvent être ajustés manuellement pour moduler l’expérience, comme désactiver l’interface, rendre Garrett vulnérable à une seule attaque, ou interdire l’usage de certains outils. Une manière intelligente de contenter à la fois les nouveaux joueurs et les vétérans en quête de défi.

Prise en main
Dès les premières minutes, Thief (2014) pose son ambiance : une cité plongée dans l’obscurité, des toits glissants, des rues patrouillées, et Garrett, silhouette silencieuse, qui s’infiltre comme une ombre. Le jeu débute par une mission tutorielle bien intégrée, permettant de se familiariser avec les mécaniques sans casser le rythme. Les déplacements sont fluides, les interactions contextuelles précises, et la verticalité bien exploitée grâce à une palette d’animations dédiées à l’escalade et au parkour urbain.
L’interface, sobre et épurée, peut être ajustée selon les préférences du joueur. Il est même possible de la rendre quasi-invisible pour une immersion maximale. La gestion des outils est intuitive, avec un menu radial accessible à tout moment pour changer de type de flèche ou activer un gadget. Les commandes répondent bien, que ce soit au clavier-souris ou à la manette, les deux options étant bien prises en charge.
En revanche, certains joueurs pourront ressentir une certaine lourdeur dans les animations ou les déplacements dans les zones intermédiaires de la ville, moins fluides que les missions principales. Le système de saut contextuel, qui ne permet de franchir un obstacle que s’il est prévu par le jeu, peut aussi donner un sentiment de rigidité à ceux qui viennent d’autres jeux d’infiltration plus dynamiques.
Enfin, l’un des atouts majeurs du jeu réside dans sa modularité. La difficulté peut être entièrement personnalisée via un système de modificateurs, permettant de créer une expérience sur mesure. On peut ainsi activer des options réalistes comme l’absence de sauvegarde manuelle, l’échec immédiat en cas de détection, ou encore l’interdiction d’acheter de l’équipement. Un vrai bonheur pour les joueurs en quête de challenge.

Scénario
Dans Thief (2014), on retrouve Garrett, le célèbre maître voleur, de retour dans une cité gangrenée par la misère, la répression politique et une étrange épidémie appelée la « Morne ». Dès le début, une mission tourne mal et Garrett se retrouve plongé au cœur d’un complot qui le dépasse. La ville, corrompue et aux mains d’un baron tyrannique, devient un terrain de jeu sombre et oppressant, où l’ombre est souvent plus sûre que la lumière.
L’univers steampunk-gothique du jeu constitue un vrai point fort : on explore manoirs décrépis, égouts poisseux, asiles délabrés et ruelles pavées éclairées à la lanterne. Le jeu distille peu à peu ses mystères, à travers journaux à lire, conversations à espionner, et documents à collecter. L’immersion est soignée, et même si l’intrigue principale reste classique, l’ambiance sombre et les non-dits maintiennent la curiosité.
Les rebondissements
Le récit s’épaissit au fil des chapitres, avec l’apparition de visions étranges, de phénomènes surnaturels, et de personnages ambigus. Garrett n’est pas un héros : il agit d’abord pour lui-même, mais l’histoire l’amène malgré lui à questionner ses propres souvenirs, sa place dans cette ville en déliquescence, et le poids de ses choix passés.
Certains moments sont marquants, notamment une séquence dans un asile abandonné, largement saluée pour son ambiance oppressante et sa mise en scène maîtrisée. Ce genre de pic narratif donne un second souffle à un scénario parfois en retrait, qui souffre d’un rythme inégal.
Les différentes fins du jeu (sans spoil)
Thief propose une conclusion unique mais teintée de mystère, laissant quelques éléments ouverts à l’interprétation. Sans tomber dans le spoiler, on peut dire que la fin reste cohérente avec le ton du jeu : ni triomphante, ni totalement désespérée. Elle laisse une impression d’ombre persistante, fidèle à l’univers et à son protagoniste taiseux.

Conclusion
Thief (2014) est un jeu d’infiltration à l’ancienne, fidèle à ses racines tout en tentant de séduire un public plus large. S’il n’égale pas la finesse des épisodes originaux ni la révolution qu’ils représentaient à leur époque, il réussit à poser une ambiance sombre et immersive, servie par un Garrett toujours aussi énigmatique. Malgré une intelligence artificielle parfois bancale, un rythme narratif inégal et quelques choix de design discutables, le jeu offre de beaux moments de tension et d’exploration dans une cité pleine de secrets.
Ce n’est peut-être pas le grand retour triomphal que les fans attendaient, mais Thief reste une proposition honnête, solide sur ses fondamentaux, et respectueuse de l’esprit de la série. Un jeu à redécouvrir aujourd’hui, loin des projecteurs, pour ce qu’il est vraiment : une plongée en solitaire dans l’ombre, là où chaque pas compte… et où le silence est d’or.
